l'encre et la plume...

l'encre et la plume...

>> Le hêtre pourpre

33553565_1878155685539248_889557189507678208_n.jpg
LE HÊTRE POURPRE

 

Je l’appelais Mazarin…

C’était le cardinal du petit jardin, un peu fourbe, il régnait de sa robe pourpre sur l’herbe folle, les grives et le bourdon. Etrangement les abeilles l’évitaient et les papillons le fuyaient. Ses feuilles, couleur de sang séché tuait tout l’éclat des tulipes rubis, du rouge gorge corail et la flamme du bouvreuil.

Posé devant chez nous, notre petite maison de pêcheur, il nous épiait de toutes ses fibres et nous fixait d’un éclat sombre et vineux. Il attendait obstinément la pluie fine du matin et le soleil qui incendiait son ramage gracile. Le soir qui tombait l’assourdissait et la nuit venue il devenait une silhouette ténébreuse dans le cadre de la fenêtre, obsédante et rageuse. Oui la nuit, je devinais qu’il attirait les kerrigans, les faunes et les dryades, je savais que des stylets en bois de Hêtre avait gravé des runes, et qu’une coupe aurait révélé dans sa chair altérée une bouche sombre presque noire. Que les coeurs gravés et percés d’une flèche, restaient longtemps sur son écorce couturé de cicatrices. Que le mot « fou » dérivait sans raison apparente de son nom latin fagus et qu’il était censé transmettre des paroles sacrées pour atteindre le moi profond.

Cet arbre, le hêtre pourpre, me fascinait et m’effrayait, m’attirait et me répugnait comme s’il avait le pouvoir de sa noirceur.

Ce Hêtre existait.

Et refusait de devenir.

Il grandissait à peine, refusait toute démonstration amicale des pins qui voisinaient, du géranium civilisé, buvait toute la lumière et tuait de son ombre les jeunes pousses; Quant au charme ….

Au milieu de son royaume, il misait tout sur sa présence rougeoyante, comme un feu sombre  et dévorant.

Exclusif et dominateur, il tourmentait ma quiétude. Je ne l’aimais pas et il le savait.

A l’automne il déposait quelques feuilles à regret, comme des baisers violacés dans le brouillard.

Sa ramure fiévreuse ondulait sous la pluie froide.

 

Un parfum de pins incendiés obsédait le ciel marin du petit port, supplantant l’odeur de l’iode, des goémons spongieux entassés, qui pourrissaient sur les rochers. Quelques huîtres détachées de leur tuile par les lames de fond, se pâmaient et attendaient que je les vole à la marée.

De retour de ma balade sur le sentier côtier, Hermès le chien et moi même retrouvions le hêtre rouge qui nous attendait rancunier, et nous plantait au coeur son regard noir.

Et de nouveau je ressentais ce malaise, le sombre pressentiment qu’au sein du bonheur, rode toujours notre part d’ombre et le mal que l’on se fait. Mauvais choix, ou l’insistance absurde à courir après un bonheur que l’on invente….

Je me cognais à cette frondaison butée, cramoisie de rage, j’affrontais la menace verticale du Fagus, du fou écarlate.

Je subissais son intrusion brutale, tout en la repoussant. Mais que voulait-il à la fin ?

Pour le fuir, il me suffisait de tourner la tête vers la charmante barrière entrouverte, vers le rouge-gorge effronté, le jardin qui folâtrait sous une pluie un peu floue.

C’est alors que mon regard se posa vers la tulipe, dressée vers le ciel, parfaite comme un œuf, prête à éclore, prête à accueillir sa vie. Son cycle serait court, le mien aussi.

 

le Hêtre...« Devenir ce que l'on est »

 

Je me penchais alors vers le cardinal juge, le fagus pourpre et le vis pour ce qu’il était : une part de moi même, une part de colère, une part de conscience, une part vivante, et me souvins enfin, que le symbole du hêtre était aussi le symbole de la patience.

 

Béatrix Bouillon 27/05/2018



27/05/2018
0 Poster un commentaire

A découvrir aussi


Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 11 autres membres