l'encre et la plume...

l'encre et la plume...

>> Ansouis

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                                                                Ansouis

 

 

    Il y’avait quelque chose dans cet endroit, de prometteur. Une offre confuse. Une séduction engageante.
D’en bas, nos pieds de visiteurs trébuchaient sur les pavés, mais nos regards portaient sur une volée de douces marches arrondies qui s’étalaient comme des coulées de lave dorée devant le parvis de l’église.
La lumière était blonde et bienveillante. Puis on continuait à monter pour atteindre un parapet.
C’est seulement alors que la promesse était tenue. Une étendue immense de cultures, collines et chaîne montagneuse du Luberon, là sous nos yeux. De quoi rêver longtemps. Réfléchir. Rester humble. Une sorte de grande respiration aussi : le vent.
Le prix à payer était le vent. Toujours présent, peu importe l’heure ou la saison. Le maître des lieux.
Secoués et éblouis, nous avions droit à un supplément, si nous consentions à passer la porte de l’église qui s’arrondissait comme un chat se frotte à notre jambe pour avoir sa pâtée. Sous la chaleur, nous rendions les armes et les murs frais nous avalaient. Nous pouvions alors espérer la vie éternelle. Il fallait juste que nos yeux s’habituent à l’obscurité et s’accommodent de nos noirceurs.
« Les promesses n’engagent que ceux qui les écoutent ». Henri Queuille.
Non loin de la proue de ce village ocré au couchant du soleil, les pierres du château usées, sculptées, hiératiques conservaient la mémoire des bals et des tueries, des retrouvailles et des trahisons. Comme l’ambre emprisonne l’insecte et nous le donne à voir si on est attentif, mort et comme encore vivant.
Le souffle était cinglant lorsque tout paraissait doux et facile.
Que regardait-elle la châtelaine au loin, sur les routes poudreuses, entre les seins généreux des collines ?
Était-ce le signe du retour de son époux, seigneur et maître ? Était-ce la poussière soulevée par les chevaux d’une armée de guerre ? Le présage de l’amour ou de la mort ?
Je ne pouvais pas rester sur ces hauteurs une éternité. L’aurais-je pu, une promesse n’est qu’une promesse : du vent...

 

 

17/08/2019 Béatrix Bouillon Mayer

 


18/08/2019
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>> Comme un mur tiède

Comme un mur tiède

 

Je voudrais...

Comme un mur tiède, renvoyer la chaleur, la tendresse de ce soleil nouveau, soleil vert d'Avril sur ma peau qui se souvient des étés d'avant avec bonheur...

Que ce fut passionnel et rassurant ces grosses chaleurs qui nous déshabillent, ces sueurs moites qui font fuir le sommeil et lustrent nos épaules... jambes et bras nus, le cou humide sous les boucles blondes, peu importe les frissons, cette chaleur qui nous prend et nous tombe dessus, ces pulsions brusques, le soleil brûlant  qui irradie soudain et nous laisse foudroyés dans une torpeur de  lézard, dévorés par l'amour fou d'une étoile aveuglée ....

Là, le visage offert à cette fièvre nouvelle, je laisse venir comme les vieilles pierres le souvenir des saisons brûlantes, je ne dis plus rien, je me veux douce, je dis oui à presque tout, et savoure en secret dans un demi-sourire muet, les rendez vous des jours prochains, des après-midi où je sentirai renaître l'ardeur qui me vaincra bientôt...

 Comme une fausse esclave, un peu fourbe, l’amour à fleur de peau, nue au crépuscule, de l’eau jusqu’aux hanches...

J'ai ôté des traits de caractère, et la calligraphie qui me lacérait jadis a érodé ses lances, mon coup de pinceau se fait douceur, mes traits s’allègent, doux et charnus, ornés et ombrés, sans morsures et rires barbares. Juste boire l'amour comme on boit du vin, et voir le sourire éclairer tes yeux qui se plissent au soleil couchant.

Hier, j'étais si impatiente de voir la fleur pousser, fleurir dans le lin et dans le chanvre, se courber dans le coton et dans la soie. Au soir de nos vies elle est éclose et se froisse, je veux que tes mains sur mon corps déclinent des caresses dorées, éveillent des lents soupirs et des aveux mélodieux .

Je veux laisser les portes ouvertes et entrer le vent.

 

Béatrix Bouillon 17/08/17


12/06/2018
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>> Le magnolia

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LE
MAGNOLIA

 

 

 

J’aurais pu m’endormir et m’éveiller à l’ombre d’un figuier comme Siddhartha, ou me déhancher sur le tube disco de Claude François, mais j’ai choisi de rêvasser sous l’emprise du Samsara et m’enivrer du parfum du magnolia.

Il me laisse pensive : il a plusieurs vies cet arbre, se ramifie dès la base et fait ensuite l’école buissonnière. Comme il est beau, isolé sur une pelouse verte, les racines au frais dans une terre douce et tendre, son port arrondi aux premiers jours du Printemps. Comme il est beau avec sa peau satinée et sa robe grise, ses fleurs luisantes d’un rose pâle.

Comme un galant empressé de me faire oublier l’hiver, il me tend un bouquet au bout de ses bras nus, et me voilà séduite et frissonnante, troublée par ses baisers si parfumés. Ses intentions sont pures, il n’est que fleurs, pas un bourgeon. Il s’offre tout entier, sans compter. Il vient comme une rencontre amoureuse : d’abord le meilleur, le plus beau, l’admiration, l’enchantement, le vertige absolu, ensuite viendront le feuillage et le fruit…. Il risque l’explosion, le feu d’artifice, le bouquet final avant même les présentations d’usage, avant même le début de l’histoire...

Il change selon la nuance de ses pétales : blanc il est la lune, jaune il est le soleil, rose il est Vénus.

Mon amoureux est distingué, sa noblesse de 100 millions d’années inspire le respect à la seconde. Il me chante des notes parfumées, je soupire et je chavire.

Et là je sais que je n’oublierai jamais cette pyramide glorieuse mais timide, fécondée par des scarabées dorés, ces bijoux vivants, ces amulettes irisées qui s’y promènent et vont lui dévorer le coeur. Parce que j’ai bu son philtre d’amour, son doux poison volatile, son parfum diaphane et captivant, le sillage voluptueux de sa grande fleur élancée qui s’offre comme une tulipe, simple et crémeuse.

Je ne suis plus rien, j’oublie tout ce que je sais, je suis prête à planter un, vingt ou cent magnolias juste pour m’emplir de cette essence mystérieuse, ce soupir fugace qui me frôle et qui me tient.

Offrande acidulée, lumineuse, transparente, intense, délicate, opulente et somptueuse.

Avide, je cueille sur ma peau la fragrance magique, je bois de tout mon être l’âme silencieuse qui vibre dans cette floraison de porcelaine.

Pendant des jours je m’enivre mais le temps passe. Ses pétales évanouis vont glisser une à une en partance vers la terre, un souffle sur le miroir, une petite barque qui file sur une rive éteinte.

Tournée vers le bel arbre, les yeux caressants, je languis et j’espère, impatiente de revoir la fleur puissante et solitaire, suave et lustrée, l’année suivante, encore et encore comme le flambeau odorant de la victoire sur l’hiver, la froideur et le sommeil, le souffle capiteux de la vie, la rédemption fleurie d’une âme étourdie et fatiguée...

 

 

 

Béatrix Bouillon 12/06/2018

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12/06/2018
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>> Grambois

Grambois

 

Ce village est à part.

D’abord il n’est sur le chemin de rien du tout, il est perché et il faut aller le chercher. Vu de la plaine, son cyprès montre le ciel comme un doigt levé, ses maisons ramassées autour de ce que l’on ne connaît pas encore, évoquent une histoire humaine, une solidarité contre les vicissitudes de la vie, les agressions des siècles passés.

Le chemin sinue jusqu’aux vieilles pierres, le rempart…

On pourrait s’arrêter là et le poser sur une carte postale, un cliché du village provençal typique, sauf que ses habitants se fichent éperdument de l’imagerie facile, de la séduction complaisante ou touristique. Bien sûr qu’il est beau ! c’est même un des plus beaux villages du Vaucluse, sans hésiter.

Mais Grambois a du caractère. Comme ses habitants. S’il a résisté, ce n’est pas pour rien, si les tempêtes, le climat, les guerres, l’économie agonisante l’ont laissé debout, c’est qu’il est solide. Comme le grand chêne du jeu de boules, comme ses maisons du XII, XIII ème siècle…

Et son église, simple, humble et fière… quand j’y pénètre, dans la fraîcheur de ses vieux murs, je songe toujours en regardant les dalles usées, presque creusées, qu’elles sont comme le lit d’une rivière, tracée par des milliers de pas, des milliers d’émotions, de mariages, de baptêmes, d’enterrements. C’est une église de vivants avec la mémoire des morts. Le refuge des êtres qui ont leurs racines plantées là, dans la terre de leurs aïeux. Je l’aime, que voulez vous, elle sait tout de l’inconscience du monde et la mécréante que je suis, parfois allume un cierge et médite.

Sauvage autant que débonnaire, ce village ne se visite pas étourdiment, il s’approche. On doit causer avec leurs habitants, écouter…et apprendre.

1100 âmes sous ses toits de tuiles, plus celles qui dorment au cimetière…ceux qu’on a connus, aimés et dont le départ nous a noyé les yeux…ces femmes et ces hommes qui ont fait front contre les douleurs et les violences de la vie. Ca en fait des coeurs qui partagent...

Quand je marche dans les rues de Grambois, sa mémoire me suit comme une ombre, maintenant chaque placette, chaque muret, fontaine, porche, fenêtre à meneaux, me racontent leur histoire et participent de la mienne. Chaque mûrier, micocoulier, chêne, iris, arbre de Judée, olivier, magnolia, rosier, marronnier sont des témoins souriants et apaisants.

Et le Luberon ! Son doux regard mauve au soir qui tombe, bleuté sous le ciel gris, tendre au matin qui l’éveille.

Cette porte en bois que j’ai poussée un matin très tôt, quand le soleil se levait au dessus de cette force massive, imposante, souple, allongée et assoupie, oui ce soleil blanc et aveuglant, je m’en souviendrai toute ma vie. Il irradiait une longue haie d’ iris parme, élancés, clairs et lumineux. Comme une sorte d’espoir.

Que c’est bon d’évoquer les vieux chiens que l’on a connus, d’écouter les anciens qui retrouvent leurs 15 ans quand ils se souviennent de l’école de jadis, la boulangerie d’alors, les fêtes…

Et souvent je me dis que ça me fait comme une famille. Turbulente, rigolarde, raffinée, insolente, tolérante, têtue, colérique, affectueuse, complice; je ne l’ai pas choisie mais parfois, eh bien, peut-être, il me semble qu’il n’y a pas de hasard…

 

Béatrix Bouillon 07/06/2018


07/06/2018
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>> Le hêtre pourpre

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LE HÊTRE POURPRE

 

Je l’appelais Mazarin…

C’était le cardinal du petit jardin, un peu fourbe, il régnait de sa robe pourpre sur l’herbe folle, les grives et le bourdon. Etrangement les abeilles l’évitaient et les papillons le fuyaient. Ses feuilles, couleur de sang séché tuait tout l’éclat des tulipes rubis, du rouge gorge corail et la flamme du bouvreuil.

Posé devant chez nous, notre petite maison de pêcheur, il nous épiait de toutes ses fibres et nous fixait d’un éclat sombre et vineux. Il attendait obstinément la pluie fine du matin et le soleil qui incendiait son ramage gracile. Le soir qui tombait l’assourdissait et la nuit venue il devenait une silhouette ténébreuse dans le cadre de la fenêtre, obsédante et rageuse. Oui la nuit, je devinais qu’il attirait les kerrigans, les faunes et les dryades, je savais que des stylets en bois de Hêtre avait gravé des runes, et qu’une coupe aurait révélé dans sa chair altérée une bouche sombre presque noire. Que les coeurs gravés et percés d’une flèche, restaient longtemps sur son écorce couturé de cicatrices. Que le mot « fou » dérivait sans raison apparente de son nom latin fagus et qu’il était censé transmettre des paroles sacrées pour atteindre le moi profond.

Cet arbre, le hêtre pourpre, me fascinait et m’effrayait, m’attirait et me répugnait comme s’il avait le pouvoir de sa noirceur.

Ce Hêtre existait.

Et refusait de devenir.

Il grandissait à peine, refusait toute démonstration amicale des pins qui voisinaient, du géranium civilisé, buvait toute la lumière et tuait de son ombre les jeunes pousses; Quant au charme ….

Au milieu de son royaume, il misait tout sur sa présence rougeoyante, comme un feu sombre  et dévorant.

Exclusif et dominateur, il tourmentait ma quiétude. Je ne l’aimais pas et il le savait.

A l’automne il déposait quelques feuilles à regret, comme des baisers violacés dans le brouillard.

Sa ramure fiévreuse ondulait sous la pluie froide.

 

Un parfum de pins incendiés obsédait le ciel marin du petit port, supplantant l’odeur de l’iode, des goémons spongieux entassés, qui pourrissaient sur les rochers. Quelques huîtres détachées de leur tuile par les lames de fond, se pâmaient et attendaient que je les vole à la marée.

De retour de ma balade sur le sentier côtier, Hermès le chien et moi même retrouvions le hêtre rouge qui nous attendait rancunier, et nous plantait au coeur son regard noir.

Et de nouveau je ressentais ce malaise, le sombre pressentiment qu’au sein du bonheur, rode toujours notre part d’ombre et le mal que l’on se fait. Mauvais choix, ou l’insistance absurde à courir après un bonheur que l’on invente….

Je me cognais à cette frondaison butée, cramoisie de rage, j’affrontais la menace verticale du Fagus, du fou écarlate.

Je subissais son intrusion brutale, tout en la repoussant. Mais que voulait-il à la fin ?

Pour le fuir, il me suffisait de tourner la tête vers la charmante barrière entrouverte, vers le rouge-gorge effronté, le jardin qui folâtrait sous une pluie un peu floue.

C’est alors que mon regard se posa vers la tulipe, dressée vers le ciel, parfaite comme un œuf, prête à éclore, prête à accueillir sa vie. Son cycle serait court, le mien aussi.

 

le Hêtre...« Devenir ce que l'on est »

 

Je me penchais alors vers le cardinal juge, le fagus pourpre et le vis pour ce qu’il était : une part de moi même, une part de colère, une part de conscience, une part vivante, et me souvins enfin, que le symbole du hêtre était aussi le symbole de la patience.

 

Béatrix Bouillon 27/05/2018


27/05/2018
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