l'encre et la plume...

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>> - A Fabrice

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17/5/2018

 

Nous avons tous des papiers d’identité, mais quelquefois nous ouvrons des yeux pleins de larmes sur des pages de notre existence….

Qui étais-je alors, amoureuse effrayée qui regardait l’envol des mouettes au dessus de l’estuaire de St Nazaire comme un message d’espoir, une promesse, ou  une supplique ?

Qui de toi ou moi, allait garder nos lèvres embrassées jusqu’à la fin ?

 

Tu es mort.

 

Non.

 

Ton essence est là, le meilleur de toi même.

Tu me donnes ce que j’ignorais alors, ce que tu ne savais pas révéler.

 

Je relis ta dernière lettre et je comprends enfin, je te lis et je t’écoute.

« Mon présent grandit dans le bocal du passé », ce sont tes mots….

 

Je parcours les miennes, celles que je t’écrivais, jamais relues, rejetées, refoulées, occultées. Ces mots je les ai pensés, alors je te les dois, mon amour.

Tout ça je l’ai vécu, je l’ai senti et je te le donne là où tu es.

Mais tu souris parce que tu le savais déjà.

 

En ce temps là j’étais un peu tombée sur la tête, au pays des celtes, celui où tout le monde a les yeux verts ( si c’est vrai ! ), où je me sens chez moi, en Bretagne.

St Nazaire sous la pluie, les plants de tomates qui poussent sur le sable de l’estuaire en regardant les grands bateaux, les colonies de coccinelles qui envahissent les goémons par milliers. Et cet hortensia bleu, grand comme un homme ! Toutes ces maisons blanches qui s’aplatissent sous le vent comme un chat qui passe sous un portail. Un calva doré comme une topaze avec une aura inexplicable.

J’ai envie d’avoir une demi-douzaine d’enfants pour leur prêter un peu de la magie de ce pays et leur donner des prénoms de fées.

Et je t’ai rencontré. C’est bien, j’aurais pu ne jamais te rencontrer…

Le miracle du hasard, du destin nous tient alors lieu de passé, de présent et d’avenir. Nos vécus ont construit ces amants qui se sont dit oui. Tout de suite.

 

On dirait que je n’aurai plus jamais faim.

C’est comme si ce matin en prenant ma douche bêtement j’avais découvert la preuve de l’existence de Dieu.

 

...Et si c’était l’Amour ?

Je voudrais bien saisir sans le froisser ce merveilleux sentiment de merveilleux…

Toute chose a un envers et un endroit, je sais.

Je me demande quel est l’envers du merveilleux ...

 

On s’est rencontrés, on avait fait chacun la moitié du chemin, on s’est jetés l’un sur l’autre . Alors si je me suis trompée, tu t’es trompé aussi forcément… nous avons commencé à nous aimer ou nous tromper ensemble, presque en même temps. Chacun de notre côté, avec le poids de nos malheurs et de nos souffrances, avec les raisons et les déraisons que l’on se donne, nous avons fait ce bout du parcours jusqu’à Nous.

Celui que tu as fait je te l’emprunte et je te donne le mien, nous avions devant les yeux tous les pays du monde, nous avions le choix. Nos peines étaient légitimées, nous étions libérés de nos peurs et de nos doutes. On se comprenait.

Je me souviens….Ta manière de m’appeler « chérie » à tout bout de champs, de me regarder dormir, de mettre partout des pense-bête « je t’aime » … et moi qui attendais justement de n’y plus penser pour te le dire.

Je t’aime.

Pourquoi est-ce si grave ?

 

C’est sûrement un bout de Dieu.

 

Mon pense-bête à moi c’est la couleur de mes yeux qui chavire quand je te vois. C’est peut-être pour ça que tu aimes me regarder. Tu lis de l'amour.

Ces longues épousailles dans ton grand lit d’où naissaient comme des plaintes, auraient du durer toujours. Toujours.

On ne revient pas de ce pays, on se caresse infiniment, on oublie, on s’oublie.

Mon coeur n’est plus à la même place, il palpite dans un pays tropical, sombre où il se sent fondre.

Il faudrait pouvoir dire exactement les mots qu’on ne doit pas dire. Insensés, improbables. Des délires de chercheur d’or.

Je nourrissais la bête qui me dévorait avec un sourire mais je tremblais de toutes mes feuilles, comme le noyer glacé par l’orage, qui attendait suppliant juste devant la maison, porte close sur la cheminée enfiévrée.

Je ne veux plus que quiconque ait peur. Même pas moi.

 

Je sens encore tes mains sensibles sur mon corps, il fait toujours beau entre tes bras, j’entends encore la dernière note de nos musiques, elle vibre encore.

J’étais éblouie.

Si c’est pas toi, c’est le vent qui me fait chanter. Je goûte à toutes les grappes. Sous le lampadaire il y’a des papillons si dorés que l’on y croit pas. Je suis dévorée par un animal mythique.

Ca mange quoi l’amour ?

- Fais le, maintenant que tu sais ce que c’est .

Oui. C’est un vertige absolu.

Je pourrais rester assise un mois sur une chaise à penser à toi. Je souris avant de te mordre goulûment. On a déchiffré nos corps, nos mémoires, on a écrit et imprimé sur notre chair tout notre désir, notre éternité.

 

- «  Je t’aime, sinon ça ne me ferait pas cet effet là »

- Quel effet ?

Que je suis sotte….je devrais le savoir : tu me bouleverses la peau.

Je suis simple comme une tulipe.

Levée vers toi.

Tu m’as dit une fois : « j’aurais du t’attendre »

Et moi qu’est-ce que j’aurais du faire pendant ce temps ?

J’amène quoi sur la table de la vie, cette bonne auberge espagnole ?

Je ne sais même pas si je t’aime pour longtemps et déjà je souffre…. Oh ...me mettre dans un tiroir et dormir ….

Aime moi Fabrice, aime moi très fort. Aime moi ! aime moi....

Tu me manques, j’étouffais chez toi, et je me consume ici.

C’est drôle l’amour, moi je trouve…

Il faut que tu m’aimes, il n’y a pas d’autre solution. Sans capodastre, sans économie.

J’ai pris un coup de soleil incandescent, je change de peau, je mue. Je découvrirai bientôt des lambeaux de ce que je fus derrière un tas de pierres.

Partout où il n’y a pas d’amour, ça sent la bête malade, ça pue la mort. Et puis le malheur c’est inutile.

 

J’ai été voir les cheveux de la fée Marie Morgane dans les flots, la lumière d’un réverbère emprisonnée dans l’eau d’un petit port plein de voiliers vides, penchés à marée basse. Il ne pleut pas.

Un film passe à la TV «  La grande illusion » …

J’ai peur. Ce soir là je pressens ma vie, rugueuse et lourde comme un corps-mort, bloc de béton où je suis amarrée :

- Pour moi, il n’y aura pas de couple, pas d’enfant, pas de famille.

J’avais 31 ans.

J’en ai 65.

Ce soir là j’ai su. Mais j’ai tenté. Et j’ai pendu mes peines au bout d’une corde, comme elles le méritaient.

 

On donne chair aux mots que l’on se dit, aux mots que l’on s’écrit.

Et bientôt à un enfant.

Je l’aime déjà tellement ce petit qu’il faut que je l’oublie un peu pour qu’il respire.

 

Et il y’aura les jours où je mordrai la pierre comme un chat empoisonné.

J’ai perdu mon amour unique, le fils que j’attendais. Il est venu trop tôt, inerte, éteint. Ce matin là j’ai serré les dents à m’en faire péter les molaires.

 

Tu as lâché la barre, voiles affalées.

J’ai changé.

 

J’y penserai demain, demain je pourrai souffrir sans te tuer, toi son père qui m’a abandonnée le ventre ouvert.

Ces « je t’aime » qu’en reste t-il ?

J’ai appris à mourir vivante tout ce temps là et puis un jour j’ai envoyé la grand-voile.

Je n’ai rien laissé, tout emporté. Je sais.

J’ai glissé entre tes rêves et l’amour, mais tu m’as gardée comme un parfum tenace, blessé et fuyant. Tu m’as mise au chaud au fond de ton coeur avec les chaussons bleus de l’enfant qui n’a jamais marché.

Je garde en tête une photo qui n’existe pas: je l’ai inventée. Sa petite main sur le cou de son père. En gros plan.

Oui vraiment, tout ça je l’ai vécu, pensé, écrit et je te le donne, là où tu es. Dans cette autre vie.

 

Ô mon fumeur, mon bien-aimé entouré de nuages gris, mon grand corps abandonné, tes mains amoureuses, tes yeux bleus, si bleus…

Il faut bien ça, la Mort, pour tourner la page.

Mon amour, viens, je t’emmène respirer les bruyères de la baie des Trépassés .

Trépassés ? on s’en fout...

Et le parfum des ajoncs qui sentent la noisette, le vent et les nuits profondes.

Viens ! c’est toi qui me l’a dit, l’Amour ne meurt jamais.

 

 

Béatrix Bouillon 17/05/2018



18/05/2018
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