l'encre et la plume...

l'encre et la plume...

psyché délice


>> Comme un mur tiède

Comme un mur tiède

 

Je voudrais...

Comme un mur tiède, renvoyer la chaleur, la tendresse de ce soleil nouveau, soleil vert d'Avril sur ma peau qui se souvient des étés d'avant avec bonheur...

Que ce fut passionnel et rassurant ces grosses chaleurs qui nous déshabillent, ces sueurs moites qui font fuir le sommeil et lustrent nos épaules... jambes et bras nus, le cou humide sous les boucles blondes, peu importe les frissons, cette chaleur qui nous prend et nous tombe dessus, ces pulsions brusques, le soleil brûlant  qui irradie soudain et nous laisse foudroyés dans une torpeur de  lézard, dévorés par l'amour fou d'une étoile aveuglée ....

Là, le visage offert à cette fièvre nouvelle, je laisse venir comme les vieilles pierres le souvenir des saisons brûlantes, je ne dis plus rien, je me veux douce, je dis oui à presque tout, et savoure en secret dans un demi-sourire muet, les rendez vous des jours prochains, des après-midi où je sentirai renaître l'ardeur qui me vaincra bientôt...

 Comme une fausse esclave, un peu fourbe, l’amour à fleur de peau, nue au crépuscule, de l’eau jusqu’aux hanches...

J'ai ôté des traits de caractère, et la calligraphie qui me lacérait jadis a érodé ses lances, mon coup de pinceau se fait douceur, mes traits s’allègent, doux et charnus, ornés et ombrés, sans morsures et rires barbares. Juste boire l'amour comme on boit du vin, et voir le sourire éclairer tes yeux qui se plissent au soleil couchant.

Hier, j'étais si impatiente de voir la fleur pousser, fleurir dans le lin et dans le chanvre, se courber dans le coton et dans la soie. Au soir de nos vies elle est éclose et se froisse, je veux que tes mains sur mon corps déclinent des caresses dorées, éveillent des lents soupirs et des aveux mélodieux .

Je veux laisser les portes ouvertes et entrer le vent.

 

Béatrix Bouillon 17/08/17


12/06/2018
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>> Grambois

Grambois

 

Ce village est à part.

D’abord il n’est sur le chemin de rien du tout, il est perché et il faut aller le chercher. Vu de la plaine, son cyprès montre le ciel comme un doigt levé, ses maisons ramassées autour de ce que l’on ne connaît pas encore, évoquent une histoire humaine, une solidarité contre les vicissitudes de la vie, les agressions des siècles passés.

Le chemin sinue jusqu’aux vieilles pierres, le rempart…

On pourrait s’arrêter là et le poser sur une carte postale, un cliché du village provençal typique, sauf que ses habitants se fichent éperdument de l’imagerie facile, de la séduction complaisante ou touristique. Bien sûr qu’il est beau ! c’est même un des plus beaux villages du Vaucluse, sans hésiter.

Mais Grambois a du caractère. Comme ses habitants. S’il a résisté, ce n’est pas pour rien, si les tempêtes, le climat, les guerres, l’économie agonisante l’ont laissé debout, c’est qu’il est solide. Comme le grand chêne du jeu de boules, comme ses maisons du XII, XIII ème siècle…

Et son église, simple, humble et fière… quand j’y pénètre, dans la fraîcheur de ses vieux murs, je songe toujours en regardant les dalles usées, presque creusées, qu’elles sont comme le lit d’une rivière, tracée par des milliers de pas, des milliers d’émotions, de mariages, de baptêmes, d’enterrements. C’est une église de vivants avec la mémoire des morts. Le refuge des êtres qui ont leurs racines plantées là, dans la terre de leurs aïeux. Je l’aime, que voulez vous, elle sait tout de l’inconscience du monde et la mécréante que je suis, parfois allume un cierge et médite.

Sauvage autant que débonnaire, ce village ne se visite pas étourdiment, il s’approche. On doit causer avec leurs habitants, écouter…et apprendre.

1100 âmes sous ses toits de tuiles, plus celles qui dorment au cimetière…ceux qu’on a connus, aimés et dont le départ nous a noyé les yeux…ces femmes et ces hommes qui ont fait front contre les douleurs et les violences de la vie. Ca en fait des coeurs qui partagent...

Quand je marche dans les rues de Grambois, sa mémoire me suit comme une ombre, maintenant chaque placette, chaque muret, fontaine, porche, fenêtre à meneaux, me racontent leur histoire et participent de la mienne. Chaque mûrier, micocoulier, chêne, iris, arbre de Judée, olivier, magnolia, rosier, marronnier sont des témoins souriants et apaisants.

Et le Luberon ! Son doux regard mauve au soir qui tombe, bleuté sous le ciel gris, tendre au matin qui l’éveille.

Cette porte en bois que j’ai poussée un matin très tôt, quand le soleil se levait au dessus de cette force massive, imposante, souple, allongée et assoupie, oui ce soleil blanc et aveuglant, je m’en souviendrai toute ma vie. Il irradiait une longue haie d’ iris parme, élancés, clairs et lumineux. Comme une sorte d’espoir.

Que c’est bon d’évoquer les vieux chiens que l’on a connus, d’écouter les anciens qui retrouvent leurs 15 ans quand ils se souviennent de l’école de jadis, la boulangerie d’alors, les fêtes…

Et souvent je me dis que ça me fait comme une famille. Turbulente, rigolarde, raffinée, insolente, tolérante, têtue, colérique, affectueuse, complice; je ne l’ai pas choisie mais parfois, eh bien, peut-être, il me semble qu’il n’y a pas de hasard…

 

Béatrix Bouillon 07/06/2018


07/06/2018
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>> Le hêtre pourpre

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LE HÊTRE POURPRE

 

Je l’appelais Mazarin…

C’était le cardinal du petit jardin, un peu fourbe, il régnait de sa robe pourpre sur l’herbe folle, les grives et le bourdon. Etrangement les abeilles l’évitaient et les papillons le fuyaient. Ses feuilles, couleur de sang séché tuait tout l’éclat des tulipes rubis, du rouge gorge corail et la flamme du bouvreuil.

Posé devant chez nous, notre petite maison de pêcheur, il nous épiait de toutes ses fibres et nous fixait d’un éclat sombre et vineux. Il attendait obstinément la pluie fine du matin et le soleil qui incendiait son ramage gracile. Le soir qui tombait l’assourdissait et la nuit venue il devenait une silhouette ténébreuse dans le cadre de la fenêtre, obsédante et rageuse. Oui la nuit, je devinais qu’il attirait les kerrigans, les faunes et les dryades, je savais que des stylets en bois de Hêtre avait gravé des runes, et qu’une coupe aurait révélé dans sa chair altérée une bouche sombre presque noire. Que les coeurs gravés et percés d’une flèche, restaient longtemps sur son écorce couturé de cicatrices. Que le mot « fou » dérivait sans raison apparente de son nom latin fagus et qu’il était censé transmettre des paroles sacrées pour atteindre le moi profond.

Cet arbre, le hêtre pourpre, me fascinait et m’effrayait, m’attirait et me répugnait comme s’il avait le pouvoir de sa noirceur.

Ce Hêtre existait.

Et refusait de devenir.

Il grandissait à peine, refusait toute démonstration amicale des pins qui voisinaient, du géranium civilisé, buvait toute la lumière et tuait de son ombre les jeunes pousses; Quant au charme ….

Au milieu de son royaume, il misait tout sur sa présence rougeoyante, comme un feu sombre  et dévorant.

Exclusif et dominateur, il tourmentait ma quiétude. Je ne l’aimais pas et il le savait.

A l’automne il déposait quelques feuilles à regret, comme des baisers violacés dans le brouillard.

Sa ramure fiévreuse ondulait sous la pluie froide.

 

Un parfum de pins incendiés obsédait le ciel marin du petit port, supplantant l’odeur de l’iode, des goémons spongieux entassés, qui pourrissaient sur les rochers. Quelques huîtres détachées de leur tuile par les lames de fond, se pâmaient et attendaient que je les vole à la marée.

De retour de ma balade sur le sentier côtier, Hermès le chien et moi même retrouvions le hêtre rouge qui nous attendait rancunier, et nous plantait au coeur son regard noir.

Et de nouveau je ressentais ce malaise, le sombre pressentiment qu’au sein du bonheur, rode toujours notre part d’ombre et le mal que l’on se fait. Mauvais choix, ou l’insistance absurde à courir après un bonheur que l’on invente….

Je me cognais à cette frondaison butée, cramoisie de rage, j’affrontais la menace verticale du Fagus, du fou écarlate.

Je subissais son intrusion brutale, tout en la repoussant. Mais que voulait-il à la fin ?

Pour le fuir, il me suffisait de tourner la tête vers la charmante barrière entrouverte, vers le rouge-gorge effronté, le jardin qui folâtrait sous une pluie un peu floue.

C’est alors que mon regard se posa vers la tulipe, dressée vers le ciel, parfaite comme un œuf, prête à éclore, prête à accueillir sa vie. Son cycle serait court, le mien aussi.

 

le Hêtre...« Devenir ce que l'on est »

 

Je me penchais alors vers le cardinal juge, le fagus pourpre et le vis pour ce qu’il était : une part de moi même, une part de colère, une part de conscience, une part vivante, et me souvins enfin, que le symbole du hêtre était aussi le symbole de la patience.

 

Béatrix Bouillon 27/05/2018


27/05/2018
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>> Le platane

LE PLATANE

 

 

Devant la grande bastide qui se dore au soleil, le gravier crisse, le platane obscur étale sa couronne généreuse . Son ombre est lente et rassurante.

Les taches de lumière jouent avec l'écorce qui s’écaille, et laissent des coups de pinceaux d’impressionniste sur son corps massif. De la table et des fauteuils d’osier s’échappent des rires et des murmures, sous les branches larges qui se balancent et chantent sous le vent.

 

Bientôt sous le ciel bleu, glacé et violet, le vent raflera ta feuillure, un homme élaguera tes grands bras étendus. Il me semble que sans tes longs doigts qui frissonnaient et me parlaient, tu deviens muet et tu grimaces des signes impuissants, de tes moignons difformes et blessés.

Et dans les cours d’école, tu resteras au piquet, amputé, nu et malheureux.

 

Comme je préfère ces grands platanes en liberté jamais taillés, jamais coupés et qui l’hiver comme l’été agitent leur ramage baroque et fantastique, affichent une noblesse extravagante. Majestueux et centenaires ils dévoilent l'arthrose distinguée des mains de beaux vieillards.

 

Au chant des cigales agrippées à leur écorce, ils tracent la route et haussent le cou et la ramure, fidèles sentinelles alignées comme d’aimables girafes tachetées par le soleil, qui joueraient avec des feuilles.

 

Gardien immobile qui porte une main fraîche au front brûlant de nos maisons, en tenue de camouflage, brave soldat à la peau douce, il est le temps qui passe, la course des saisons, le témoin de notre enfance, le refuge de nos anciens.

Tout un peuple de rois modestes et puissants, de rois sans couronne, les rois impassibles de la Provence.

 

 

Béatrix Bouillon 25/05/2018


25/05/2018
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>> Le cyprès

                                                              Le cyprès

 

 

 

Si près de toi mon dieu …

Le long des vieux murs, à l’épaule du portail entrouvert, visant le ciel comme une flèche. A suivre...

Si près de toi et si loin….

Dessous la pierre, dessous la terre, sentant encore les couronnes qui se fanent, lavé des peurs et des pleurs, dessous la pluie, dessous les larmes, les corps t’oublient.

Le cyprès calme et odorant, marque la place, montre les tombes des disparus. Deux pour les couples ou les amants, un seul pour la veuve ou l’enfant éteint.

Qui est tombé, a trébuché au fond de cette terre, et par malheur nous est ôté ?

 

Au creux des vieux villages, planté comme une plume sur un chapeau, je vous salue. Là la place de la Fontaine, là la place des Colombes, là celle du Puisatier…

De loin je signe le nom de mon hameau comme un peintre au bas de son tableau.

Je suis là...je suis là…A mes côtés 1100 âmes veillent et sous mon aile 300 âmes dorment, je ne fais d’ombre à personne...

Venez, n’ayez pas peur, je sens si bon, il y’en a pour les morts et pour les vivants…

Je sens si bon ….la citronnelle et la résine, l’encens et la paix.

Je vais vers le ciel comme on va au marché, et j’y cueille le nuage ou la pluie, l’hirondelle ou la mésange.

Les mésanges, mon ange ?

Je suis un refuge droit et vertical pour l’insecte ou l’oiseau, et mon ombre s'allonge et se couche aux pieds d'un peuple qui repose.

 

Doux Jésus, lorsque j’entends au loin le son du clavecin qui fait chanter mon bois, lorsque j’entends ces notes et sa  musique, oui, je suis près d'être éternel.

Toujours vert, fier et vivant, je nargue et le vent et le deuil, je suis debout et vous attends.

 

 

Béatrix Bouillon 23/05/2018


23/05/2018
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