l'encre et la plume...

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>> L'étalon rouge

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L’étalon rouge

 

Des talons rouge cramoisi claquent sur le parquet inondé de soleil. Des pas décidés qui résonnent comme autant de coups de maître. 

Le silence se fait, les lustres pesants irisent les lames de chêne entrelacées, la lumière rentre à flots et se multiplie dans plus de 350 glaces. 

Le Roy…. Tous les courtisans ruisselants de pierreries s’inclinent, étourdis par la hauteur du regard et l’élégance souveraine. Il est grand, bien fait de sa personne et possède le regard altier de celui qui sait tout ! Ses espions sont partout….

En habit noir entièrement rebrodé des diamants de couleur dont il raffole, les princes de sang le frôlent et la noblesse se courbe. Les bustes, les pilastres de marbre et de porphyre, les bronzes, les torchères, les vases, les girandoles, l'argent massif du mobilier, les immenses toiles célèbrent la gloire de Louis le Grand. 

2153 fenêtres défient le monde.

Il a bien observé les comédiens de Molière et cache sa timidité d'un masque théâtral qu’il affiche dès son lever. Il est à la France corps et âme, mais trouve une parade géniale à son sacrifice : sa passion d’esthète qui rayonnera dans le monde entier grâce à l’Art, tous les arts …. il sera amant, infidèle, changeant, menteur, cruel et repentant mais sera infaillible quant aux artistes qu’il choisira….

Mais ce soir, c’est le temps de la fête, de la splendeur, sa revanche sur Fouquet !

Comme un charmeur de serpents il entraîne à sa suite cette longue couloeuvre parée de brocart, de velours, de soie et de mousseline, dentelles, prétentailles, taffetas, satin et falbalas….Les jupes, les robes et les pourpoints, les corsets et justaucorps se bousculent et se froissent, les plumes et perruques poudrées se penchent, les gants d’Espagne s’agrippent aux manchons de loutre, les bijoux scintillent et les yeux brillent de convoitise….

Les yeux fardés se pâment, s’extasient mais lorgnent vers un bassin où des êtres difformes transformés en grenouilles, tortues, et lézards de plomb supplient Latone, ces mendiants somptueux flairent bien là, la promesse d’un châtiment terrible à la moindre désobéissance, tout en suivant des yeux le long chemin qui leur reste avant d’atteindre le grand canal et peut être arrêter le regard du Roi.

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Aux pieds de Sa Majesté, se courbent et s’enlacent les broderies de buis, et triomphe la puissance des jets d’eau assourdissants. Cette eau si chère à capturer, cette eau supposée vectrice de la syphilis et des humeurs malignes, inquiète. En plus des marais putrides qui donnent des fièvres mortelles, les médecins soupçonnent les ablutions d’altérer la vigueur sexuelle. Louis qui de toutes façons n’a peur de rien, nage dans les rivières et... aura 16 enfants, dont peut être une fillette à peau sombre… que les médecins au supplice, attribueront à l’abus de chocolat devant une cour hilare…..

 

Sous les frondaisons des ormes, des tilleuls, des hêtres et des chênes, les bouches chuchotent et masquent leur haleine pourrie avec la cannelle et clous de girofle, menthe et marjolaine. Aspergée d’Eau Impériale, Couronnée, d’Eau Superbe, la beauté crasseuse puise chez son parfumeur les baumes du Pérou, la poudre de Chypre, la pommade de Florence, la cire d’Espagne, et puisque rien n’y fait, rajoute quelques gouttes d’essence de fourmis et d’esprit d’écrevisses, des préparations aromatiques de poumons de renard, de foie de loup, de graisse d’ours, de poudre de scorpions, de cloportes, de blanc de baleine, de cendres de salamandre, d’huile de vers de terre, de corne de cerf agrémentée de sang, d’urine, d’excréments et enfin de liqueur de momie égyptienne…. Diantre !

Et dire que Louis est allergique à toutes ces vapeurs sauf celle des fleurs d’oranger...

 

Les traînes des manteaux bruissent comme feuilles mortes, et chacun applaudit quand M. de St Hilaire présente au Roy le travail de son araignée, une araignée de Madagascar qui file une soie d’or liquide, irisée, somptueuse, digne d’un conte de fée de M. Perrault…….  (De plus la créature n’est pas venimeuse, elle ... songe le souverain).

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Le soir descend, des tables sont dressées, éclairées par des milliers de bougies, dans la même ordonnance que les dentelles de buis de M Le Nôtre, couvertes de vases et de plats d’argent emplis de fruits et confitures. Des buffets chargés de carafes de cristal, de porcelaines, de liqueurs, vins fins, thé, café et chocolat attendent des doigts avides. La courtisane effrontée se pâme lorsqu’une main gantée surgit brusquement d’un bosquet et lui tend un verre de ce vin pétillant élaboré par le moine Dom Pérignon…

Une grotte fabuleuse peuplée de monstres, des orangers offrant des fruits confits, un arbre fontaine, des cascades, des labyrinthes, des jets d’eau malicieux qui soulèvent des jupes frivoles, des allées rayonnantes, des perspectives, des palissades, des grilles et des arcades abritent les complots, les intrigues, médisances et royales amours….

 

..... Dans les coulisses une bataille fait rage: la nouvelle cuisine contre l’ancienne, l’aigre-doux et l’épicé contre les coulis et les aromates., les compotes, gelées, marmelades, contre les mousses, la chantilly de Vatel ...

Les maîtres-queux rivalisent, les commères et marmitons s’insultent :

- Vieux manche à gigot !

- Cul de jument !

- Bouquet sans queue !

- Voirie ambulante !

- Sac à vin !

- Gueuse à crapaud !

- Restant de galère !

- Matelas d’invalide !

- Echappé de Bicêtre !

- Dinde sans plume !

- Enseigne de cimetière !

- Etron en plein vol !

- Tu me chies dans la malle jusqu’au cadenas !

- Vas mettre ton jambon dans le torchon !

Molière n’a qu’à bien se tenir … quant à Racine ….

 

« Messieurs, La viande du Roy ! »

Les tables nappées croulent sous 250 plats de service, potages, hachis, rôts, marée, ragoûts, venaisons, fricassées, salades parsemées de violettes…..

Ont défilé les carrousels, chameau, éléphant de la ménagerie royale, costumes somptueux, comédies-ballets, loteries, concerts...

Sous les beaux yeux bleus de Louise, confuse et rayonnante, il joue de la guitare en souvenir de Scaramouche, elle est sa plus belle victoire quand elle oublie ses scrupules devant l’ardeur de son regard...

Alors le Roy triomphe ! Le Roy danse !

Sa grande passion …. il lui consacre plusieurs heures par jour depuis sa plus tendre enfance, le Roy se montre, le Roy prend le pouvoir, il a le pied sûr, le mollet bien pris, il est agile, entrechats, pas chassés, sissones, assemblés, les talons couleur de rubis glissent …. Sur la musique de Lully, il fascine et règne sur les coeurs….

« Et malheur à qui ne danse en cadence avec lui ! »

 

Pour finir, le château, l’eau, la terre et le ciel s’embrasent, irradiés par un feu d’artifice somptueux.

Les courtisans rompus, éblouis suivent le jeune souverain et les robes agonisent lentement sur les marches du château…

Le Roy se tourne une dernière fois vers ses chers jardins, vers l’espoir qu’il est en train de bâtir. Il s’est vengé de l’humiliation de Vaux le Vicomte, et forgera ici son destin et celui de la France.

Il regarde longuement le ciel noir et calme dans le grand canal qui miroite .

Aura-t-il seulement une descendance digne de ses efforts ? Lui qui trouve le temps, après la cérémonie du lever, le couvert, la messe, le conseil des ministres, le dîner, la chasse, la promenade, ses maîtresses, ses favorites, le souper, la comédie, le jeu, le ballet, les guerres, lui qui trouve le temps toujours, de veiller au moindre détail de l’élévation de son oeuvre ?

Qui veillera sur les bâtiments, les jardins, la peinture, l’orfèvrerie, l’ébénisterie, la joaillerie, les parfums, la soie, la musique, le théâtre, la littérature, la sculpture, la cuisine, l’horticulture, l’équitation, les sciences, la mode, les faïences, porcelaines, et la danse ? Qui à la chasse, forcera la meute hurlante des grands loups gris ?

Ce Roy et Versailles sont le centre du monde, copiés, enviés, admirés.

Grâce à sa passion pour tous les arts, la France est à son zénith. L’astre du jour éblouit la terre entière.

Trois cents ans après, l’image du grand siècle reste incomparable mais la question angoissée de Louis Dieudonné le Quatorzième demeure…. Qui ?

Qui à la tête de ce pays, préservera son lustre ?

.....Après le soleil, l’ombre est violente

Aucun n’est arrivé et n’arrivera à l’illustre cheville de ce danseur magnifique….

Avec rage il écrase de la semelle une flammèche égarée. De toute sa morgue il tourne les talons, ses talons rouges qui cueillent au passage la lueur sanglante du soleil qui se couche.

 

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Béatrix Bouillon    13/02/2018



21/02/2018
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