l'encre et la plume...

L'homme de la crête

Que c'était étrange cet homme qui piquait avec sa vieille machine à coudre, sur son rocher abrupt loin du village, seul au dessus du vide et le regard rayonnant par delà les montagnes du Tibet.... je le revois encore ...

Et si j'écrivais pendant que vous cousez, homme de la crête, perché sur les hauteurs ?

Vous festonnez les nuages à petits points dorés, faites tonner l'orage, bruisser des appels lointains comme une étoffe que l'on déchire, abandonnez des chutes vaporeuses, écarlates, sanguines et brodez des fermetures en un éclair ....

Vous qui cousez, homme de la crête, là haut sur les sommets, dites moi où passent les jours et les nuits, les reflets de ce qui fut, les vagues à l'âme ....

Et si j'écrivais la marée qui s'échappe enfin de ma mémoire, le vide clair et léger qui m'emplit doucement et l'écho des voix amies sur l'étang et les temps d'avant ....

Sur la nuit qui caresse, le velours du souffle tiède, l'étang qui respire à mes pieds, vous cousez homme de la crête, et pleurez des larmes immenses, des gouttes juteuses comme des fruits, de l'eau qui se pose sur l'eau qui s'endort.....

J'écris ces grondements de félins énervés, la soif de la terre épuisée, l'orage découragé qui s'éloigne, ces mots inutiles et ces peines perdues....

Peines perdues, jeux d'émois, jeux de maux dits du fond de la gorge,  roucoulés comme des sanglots de naufragés ... des notes de musique, des échos et des reflets encore, et je m'en vais, indifférente et différente, tandis que l'homme de la crête brode le ciel sur l'étoffe des jours, que les aiguilles du temps passent et repassent et s'effacent ....

Béatrix Bouillon   06/08/17 ( droits réservés)